Photos, livres, aventures.

Shakespeare n'a jamais vu L.A.





Cela devait bien faire dix ans que je n'en n'avais pas lu, et je croyais bien avoir terminé ma période Bukowski, lorsqu'on m'a mit ce livre entre les mains.

En 1978, Charles Bukowski accepte les invitations de ses éditeurs français et allemands et s'embarque avec sa compagne Linda Lee et un ami photographe. Après avoir éclusé tout le vin blanc, puis le rouge, et enfin la bière disponibles à bord de l'avion, les voici donc qui débarquent à Paris.
Le grand Buck, qui ne s'attendait pas à un tel empressement de la part des journalistes français, aimerait mieux continuer à boire dans la chambre d'hôtel de la rue des Saints-Pères où l'a enfermé Raphael Sorin (1), mais voilà que déjà on le traîne sur le plateau d'Apostrophes pour son désormais légendaire passage à l'émission de Bernard Pivot.
L'émission est un demi-désastre et vire presque au pugilat lorsque l'écrivain, rond comme une queue de pelle, se fait montrer la sortie du plateau par les agents de sécurité. Ses fans exultent, le trublion américain ne les a pas déçu en se moquant du maître de cérémonie de la littérature télévisée.
Après un crochet peu glorieux par Nice, où le beau-père de Linda Lee refuse de les rencontrer, le couple file vers l'Allemagne (quatorze heures dans un train sans wagon restaurant ni bar ambulant!) pour la deuxième partie du programme.
À Mannheim d'abord il retrouve des amis, le traducteur Carl Weissmer et le cinéaste Barbet Schroeder, puis à Andernach, sa ville natale, il se rend chez son vieil oncle Heinrich, boit du vin, visite des châteaux, boit du vin, prépare la grande lecture prévue à Hambourg et boit du vin avec des amis.
Il trouve encore le temps de répondre à des interviews impromptues :

"Non, Oui, Non. Non.
- J'aime Thomas Carlyle, Madame Butterfly et le jus d'orange avec la pulpe. J'aime les radios rouges, les lave-autos, les paquets de cigarettes écrasés et Carson McCullers.
Non. NON! Non. Oui, bien sûr.
-Mick Jagger? Non, j'aime pas sa bouche... Bob Dylan? Non, j'aime pas son menton.
Fin de l'interview."


photo : Michael Monfort





C'est un premier retour au pays après cinquante-huit ans d'absence et une vie américaine bien remplie, et même si les gueules de bois à répétition lui gâchent un peu le paysage, on sent l'écrivain ému par ses retrouvailles. Lui qui s'est habitué à lire sa poésie dans des endroits improbables pour payer son loyer, est tout de même surpris par les mille deux cents personnes venues l'entendre à Hambourg. Il s'en trouve bien un qui l'insulte dans la foule, mais ce serait plutôt du genre à mettre le bonhomme en confiance.

"Là encore les fans allemands se distinguaient : ils avaient mes livres. Dans les boîtes de nuit (*aux États-Unis), on me faisait surtout signer sur des serviettes en papier."

Et puis malgré tout ce dépaysement, Bukowski finit par s'ennuyer de son chat et de sa machine à écrire et il aimerait bien rentrer chez lui. Encore faut-il trouver le bon train, le bon avion, et c'est une autre histoire.


"Comment ce type qui ne s'intéresse à presque rien peut-il écrire sur quoi que ce soit? Eh bien, j'y arrive. J'écris sur tout le reste, tout le temps : un chient errant dans la rue, une femme qui assassine son mari, les pensées et les sentiments d'un violeur à l'instant où il mord dans son hamburger; la vie à l'usine, la vie dans les rues et dans les chambres des pauvres, des invalides et des fous, toutes ces conneries, j'écris beaucoup de conneries dans le genre..."


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Shakespeare n'a jamais fait ça, Paris, 13e note éditions, 2012, 254p. Illustré de nombreuses photos de Michael Montfort.

(1) Raphael Sorin qui était aussi l'ami et éditeur de Jean-Pierre Martinet, un autre grand écrivain alcoolique.






1 commentaire:

Anonyme a dit…

"Un chient errant", c'est un beau lapsus, mis dans la bouche de Bukowski...