Photos, livres, aventures.

Voyage dans les Cantons de l'Est avec un bicycle

Jour 3


(jeudi 10 juillet)






De la journée d'hier, il ne restait pas grand chose à dire, si ce n'est que j'ai croisé sur ma route un lapin et une biche, ce qui est toujours agréable en dépit du côté Walt Disney du tableau.
Un des aspects du voyage que j'avais sous-estimé, est le déroulement des soirées. En partant seul à la campagne, je ne cherchais évidemment pas les folies nocturnes, et je me doutais bien que je serais fatigué, mais pas à ce point. Je tombe littéralement endormi vers 22h30, ce qui ne m'étais certainement plus arrivé depuis près de dix ans, exception faite de quelques jours de grippe. Résultat, je n'ai pas lu une ligne pour l'instant. À pédaler avec sa maison dans les jambes, on a pourtant vite fait de passer de la chambre à la bibliothèque, mais je crains que les deux livres que j'ai choisi de traîner (Le Mur invisible, de Marlen Haushofer, et Paris, mon pote, de Robert Giraud) ne passent la fin de la semaine au fond du sac.


Polythéisme
Je prie chaque soir et chaque matin les dieux du vélo, du camping et de la météo pour obtenir leurs faveurs. Or, si les divinités vélocipèdes sont pour l'instant d'une grande bonté, les deux autres sont pour le moins d'humeur changeante.
Ainsi, la journée était loin d'être bien entamée. D'abord, il a encore plu la nuit dernière, ce qui fait que ce que j'avais remis à sécher est à nouveau trempé.
Ensuite, l'un des deux arceaux qui soutiennent ma tente s'est brisé net dans la nuit, commençant du même coup à s'attaquer au toit, ô combien précieux par ces temps pluvieux. En voulant "tâter" un peu depuis l'extérieur pour mesurer l'ampleur des dégâts, je n'ai réussi qu'à libérer la tension qui demeurait dans l'arceau. Du coup, ce con a finit de trouer le toit avant de se planter dans mon index.
C'est officiel, il est neuf heures du matin, je n'ai plus d'endroit où dormir ce soir, et mon doigt pisse le sang. Après avoir avalé un gigantesque biscuit pour me remettre de ces émotions, je décide de prendre mon calme à deux mains par les cornes et de lever le camp. Direction, Bromont, à cinq kilomètres, où j'ai repéré hier un magasin de plein air qui devrait m'être utile.

















































En effet, j'y trouve un patch de nylon pour le toit, mais le vendeur ne peut rien pour l'arceau, n'ayant ni pièce de rechange, ni de quoi le réparer. Gentiment, il fait allusion à un homme qui pourrait faire ça, mais à Granby. "Mais allez quand même voir à la quincaillerie du village, des fois qu'y z'auraient un tube pour mettre par dessus avec du duct tape."
Bon, à la quincaillerie, le gars me propose un tuyau de quatre mètres de long qu'on pourrait "peut-être" recouper ensuite. Devant mon manque d'enthousiasme, il m'indique le magasin de plein air. "Ah bon, vous en venez. Ah, ben alors y faudrait aller voir à Granby, il y a un type qui."
Cet homme est donc le messie, mais à l'idée de refaire en sens inverse la vingtaine de kilomètres qui me séparent de Granby, je pouffe à peine.
Du coup, je m'assois à une terrasse de café qui passait par là et je commande du café, des œufs et des toasts, ce qui me coûte une fortune dans ce faux village suisse.


À Granby, j'arrive en plein pendant la "Fête des Mascottes". En gros, cela signifie que la rue principale est barrée pour laisser la place à une grande vente de trottoir, qu'arpentent des centaines de badauds et quelques étudiants sous-payés par les sponsors habituels, étouffant sous de ridicules costumes d'animaux en peluche.
Mais au bout de la rue, l'Homme est là. Il s'étonne mais comprend mon problème, et sans broncher répare ce maudit arceau en vingt minutes. Je l'aime éperdument. Comme je sais être reconnaissant, je lui paye même les vingt dollars qu'il demande, et j'en profite pour lui acheter une petite lanterne à bougies en paraffine, ce qui éclairera un peu mes soirées et réchauffera la tente.
Enfin, je sais que j'aurai un toit ce soir, et cet homme entre aussitôt aux panthéon de mes petites divinités, à côté des facteurs.


Toutes voiles dehors
Avec tout ça, il est quinze heures quand je reprends la route, et comme mon linge humide menace de pourrir au fond du sac, j'arrime serviette, slip et chaussettes sur les sacoches, et c'est toutes voiles dehors, avec un vent latéral sud-sud-est, que je mets enfin le cap sur Waterloo.
Pour ne pas reprendre la piste de l'Estriade pour la troisième fois en moins de vingt-quatre heures, je bifurque au nord sur la Granbyenne.
Celle-ci s'avère un bon choix, car elle traverse une bonne partie du parc national de la Yamaska, où la piste est superbe et amusante, toute en petites montées et descentes, serpentant entre lac et forêt. Malheureusement, elle finit par rattraper une autre piste, la Campagnarde, aussi chiante que son nom l'indique.


Sabre au clair, je charge enfin sur Waterloo, habité par cette vieille obsession d'en faire une victoire française. La ville tombe assez rapidement, malgré la résistance de quelques connards automobiles qui s'obstinent à vouloir me raser du plus près possible.
Peu après la sortie de la ville, la piste devient infernale, en poussière de pierre non tapée, le vélo trop lourd s'enlise, et en forçant comme un âne dans un raidillon cruel, je tombe lamentablement. C'était sans doute inévitable sur la durée du voyage et j'étais presque à l'arrêt, mais j'étais tout de même bien content qu'il n'y ait que les écureuils pour me voir. La queue basse, je rebrousse chemin jusqu'à la "vraie" route.


Enfin, poussé par le vent, j'arrive au camping de l'Estrie, dernier camp de base avant les sommets, familial et un peu kitch, mais où je suis très bien accueilli. En échange de quinze piastres canadiennes, on m'installe au 98, rang des Lièvres, ce à quoi je ne trouve rien à redire.


À la nuit tombée,
en espadrilles dans la rosée,
je ne crains pas de contempler les étoiles.










62 km, 23km/h de moyenne, 217 km depuis le départ.























Il a du vélo Boby
























Boby Lapointe en vélo. Une des rares photos de l'immense chanteur, et la preuve, si besoin était pour que vous me crûtes, que les gens bons de campagne vont en ville en vélo. C'est d'ailleurs à cela qu'on les reconnaît.







Voyage dans les Cantons de l'Est avec un bicycle

Jour 2

(mercredi 9 juillet)



I
l a plu toute la nuit, et bien sûr les affaires que j'avais laissées sur la corde sont trempées. Après avoir volé la moitié du papier essuie-mains du camping, je réussi à sécher grossièrement le toit de la tente entre deux averses. Je finissais tout juste d'arnacher mon vélo lorsque la pluie s'est remise à tomber. Après la canicule de la veille, la météo semble décidée à me pourrir mon voyage. Faute de solutions plus excitantes, je m'éloigne de l'abri relatif que m'offrait le couvert des arbres, et décide de me rendre jusqu'à Farnahm, dans l'espoir de trouver un café où déjeuner et patienter en attendant que le gros de la pluie soit passé.

Ce que la veille j'avais pris pour un petit café tranquille en passant rapidement, s'avère une fois à l'intérieur un restaurant prétentieux de panini sophistiqués. Qui plus est, je comprends qu'il n'est ouvert que depuis quelques jours et que tout ce que Farnahm compte d'employés de bureaux et de commerçants accourent pour apprécier la nouveauté.
Après deux heures d'angoisse passées à regarder tomber une pluie diluvienne, le soleil montre enfin le bout de son nez et je me précipite pour constater avec soulagement que les survêtements imperméables des sacoches se sont montrés héroïques.
Dix kilomètres environ après Farnahm, sur la partie de la Montérégiade qui doit me mener à Granby, un panneau "éducatif" sur la flore renseigne le passant de façon étonnante sur les chênes rouges:

"Les glands du chêne rouge sont une importante source de nourriture pour la faune, comme le savent les suisses, les écureuils, les ours noirs, les cerfs de Virginie et bien d'autres petits mammifères."

Un peu inquiet à l'idée de croiser un Suisse en quête de glands, je m'en tiens pour ma part aux barres granos.
L'étape d'aujourd'hui sera sans doute naine à comparer avec celle d'hier, mais je serai déjà bien content si je peux arriver à Waterloo ce soir en évitant les averses.

Dans l'abri en bois où je me suis arrêté pour écrire, une table, et sous la table, un préservatif usagé et une aile d'oiseau arrachée témoignent d'une activité sexuelle hors du commun.

Deux kilomètres plus loin, à peine. Autre averse, autre abri. Pour passer le temps, je regarde deux oiseaux, de la taille des martinets, avec le dos et le ventre jaune vif, et la tête et les ailes noires.
Aussi, je me brosse les dents pendant un temps infini. Ah! le confort du voyageur solitaire.

Finalement arrivé à Granby en passant entre les gouttes. Quelques kilomètres avant, la piste cesse d'être en poussière de cailloux et redevient asphaltée, ce dont je ne me plains pas, car les 10 km/h gagnés me permettent de rattraper un peu du temps que la pluie m'a fait perdre. Accessoirement, j'en profite pour larguer une mouche à chevreuil particulièrement coriace qui me poursuivait depuis près d'une demi-heure.

De Granby, où je me suis arrêté pour acheter de quoi manger ce soir et étudier la carte, je mets le cap sur Bromont, abandonnant l'idée d'aller jusqu'à Waterloo aujourd'hui.
Sur le bord de la piste, se trouve le camping que j'avais en ligne de mire, et dans lequel je tombe sur cette étonnante image d'un tipi à louer. L'endroit est d'autant plus étrange qu'il semble désert, et qu'il est tenu par un homme et sa vieille mère. Hitchockien, assurément, si ce n'est que la mère est bien vivante.




55 km, 20 km/h de moyenne.


















Voyage dans les Cantons de l'Est avec un bicycle

Jour 1
(mardi 8 juillet)




J'
aurai passé en tout plus d'un mois à faire des listes du matériel dont j'aurai besoin, ainsi qu'à réfléchir à la façon la plus adéquate et la plus équilibrée de répartir tout ça dans les différents sacs accrochés au vélo. Tout a même faillit tourner court lorsque je me suis fait voler mon vélo trois semaines avant la date prévue pour le départ. Mais j'avais tellement pensé à ce voyage et j'étais si excité à l'idée de partir que je préférai dilapider mes économies plutôt que de renoncer. Ce matin j'ai donc finit par charger la mule. Deux gros sacs à l'arrière, deux plus petits sur la roue avant, la tente sanglée sur le porte bagages, et sur le guidon une dernière sacoche pour les choses à garder à portée de la main: cartes routières, fruits secs et cigarettes.

Enfin, après une dernière accolade à la matinale V. et les promesses d'usage et de prudence, je m'élançai dans la ruelle un peu après neuf heures.


La traversée du centre ville ne s'est pas faite sans attirer quelques regards, jusqu'à l'interminable pont Jacques Cartier. De l'autre côté du fleuve, l'aventure commence puisque je n'ai jamais roulé sur la rive sud, et comme je le craignais, j'entame la semaine en perdant la trace de la Route Verte dans Longueuil après dix minutes.
Un matin de semaine en banlieue, il n'y a pas foule pour me renseigner sur la route à prendre. À un coin de rue, je me suis adressé à un homme visiblement perturbé qui a quasiment pris la fuite dès que j'ai eu posé ma question, et c'est finalement à un facteur que j'ai dû mon salut dans ce labyrinthe, ce qui tend à prouver - s'il en était besoin - le rôle essentiel que jouent les facteurs dans nos vies quotidiennes.
Une fois retrouvé la Route Verte, je m'y suis précipité avec la rage de sortir enfin de l'agglomération. Le paysage est d'ailleurs devenu bucolique beaucoup plus vite que je ne l'aurais cru. Mais c'est à partir de Chambly que l'on commence à se sentir libéré de l'attraction de la grande ville. Les maisons deviennent plus espacées, plus belles dans l'ensemble, et les piscines se creusent. Surtout, la piste longe le canal de Chambly jusqu'à Saint-Jean Richelieu, avec plusieurs portions prises entre le canal et la rivière Richelieu. J'y ai croisé un bateau de plaisance battant pavillon américain, remontant sans doute depuis le lac Champlain.
Un peu avant Saint-Jean, je m'arrête dans un casse-croûte à l'écart de la piste pour avaler un hot dog et acheter la première bouteille de Gatorade de ma vie. En repartant, je me trompe de piste cyclable et repasse une demi-heure à tourner en rond dans un no man's land semi commercial.
Enfin, je trouve le "vieux" Saint-Jean. La priorité est d'acheter de quoi manger pour le soir, mais la chaleur est tellement écrasante (il fait près de quarante), que je transpire depuis le matin et pue sans doute horriblement. Du coup, je suis particulièrement gêné en entrant dans l'épicerie. Je décide donc de m'arrêter à la terrasse ombragée qui me tend les bras au bout de la rue, et d'y attendre un peu que le gros de la chaleur passe.














Pour l'instant, la piste est asphaltée, et son tracé plutôt plat me permet de m'habituer au poids du vélo, qui doit avoisiner tranquillement les quinze kilos une fois chargé, et à l'instabilité de la roue avant. Même si je me plais à imaginer que ce chargement me donne des airs de cow-boy solitaire, c'est quand même l'impression de conduire un semi-remorque qui domine.
Les deux seules cartes détaillées que j'ai emporté étant celle des Cantons de l'Est et celle du Centre du Québec, je me suis fixé pour but d'arriver à Farnahm ce soir, afin de commencer la journée de demain en étant sur la carte.
Pour s'y rendre, la Route Verte change de nom en quittant Saint-Jean, et devient la Montérégiade, coupant à travers champs en une ligne droite ahurissante qui n'est interrompue par un virage qu'une seule fois en 25 kilomètres. Un rien monotone et je commence à fatiguer. Ces champs partout autour, un rang que l'on croise de temps en temps et sur lequel j'imagine des arrêts de bus improbables, et ce petit bruit de moteur que je n'arrive pas à identifier. Si j'avais mon costme de Cary Grant, il ne manquerait pas grand chose pour que la scène prenne des allures de remake de La mort aux trousses.
Comme pour me donner raison, la ligne droite semble enfin devoir se terminer lorsque, dans l'axe, à deux cents mètres environ devant moi, j'aperçois un petit avion posé dans le champ d'atterrissage d'un club de parachutisme.
























Arrivé à Farnahm, je fais un tour rapide de la ville pour y repérer les commerces qui me seront utiles demain, et je réalise qu'il va encore me falloir faire dix kilomètres pour trouver un camping. Soupir.
Monter la tente, prendre une douche, laver mes vêtements car j'ai pris le très strict minimum, faire chauffer une boîte de raviolis, et hop! il pleut. Un fantastique orage me tombe sur la gueule. Bienvenu dans les Cantons.









100 km, 21 km/h de moyenne





















À la demande générale, voici donc une carte pour mieux comprendre d'où ce qu'on cause.
En vert, donc, le chemin parcouru le premier jour.
Au sud de la carte et en flou, les États-Unis.




Ô Canada
























De retour de mon périple dans la nature sauvage, rompu mais vivant et entier, les images et le récit suivront bientôt.





Voyage dans les provinces de l'Ouest et les Cantons de l'Est



























Dans la frénésie des semaines passées, j'avais oublié de prévenir que ce blog allait subir un certain ralentissement jusqu'à la mi-juillet. C'est que, pour une fois, il advient que l'appellation "vie palpitante" ne sera point volée.

Ainsi, la semaine passée, nous nous aventurâmes dans la profonde province de l'Ontario, équipé de pied en cape dans la grande tradition des coureurs des bois, afin de renouer avec la nature sauvage, ce qui vaudra certainement récits et images dans les temps futurs.























De plus, demain dès l'aube, je revêtirai mon plus beau costume de Bernard Hinault, ayant au préalable chargé mon vélo comme la mule Ernestine, afin de partir à l'assaut des montagnes de l'Estrie et des Cantons de l'Est, pour un périple déambulatoire en solitaire et non chronométré.