C'est entendu, il y a aussi de bons livres parmi les nouveautés. Tout le monde l'a dit, certains auteurs confirmés ont même donné de "bonnes livraisons" comme dit la presse. Pour ma part, j'ai beaucoup aimé Courir, de Echenoz, et Le Chasseur de lions d'Olivier Rolin. Lacrimosa est également un des très bons livres de la rentrée, sauf qu'avec Jauffret il me reste toujours un petit arrière goût de je ne sais trop quoi.
À part ça, j'ai changé de librairie depuis quelques semaines maintenant, passant de la grande chaîne du neuf à une petite librairie indépendante où le neuf et l'occasion, le rare et la curiosité se mélangent avec bonheur. Ce qui me donne - entre autres privilèges - celui de voir passer presque tous les jours des livres peu ou pas distribués, épuisés, voire complètement oubliés.
J'en profite évidement pour dépenser une partie de ma paye dans l'achat de menus trésors, que je m'empresse de partager afin d'adoucir les frimas qui nous accablent (1).
Voici donc Le Réservoir des sens, signé de Belen dans son édition originale à La Jeune Parque en 1966.
Derrière ce pseudonyme se cachait alors Nelly Kaplan, la future réalisatrice de La Fiancée du pirate (1969), film culte pour les aficionados de Bernadette Lafont.
Mais en attendant de devenir réalisatrice, Kaplan avait commencé par écrire quelques textes et avait approché les surréalistes et leurs alentours. C'est donc tout naturellement que les nouvelles réunies dans le Réservoir des sens sont présentées par Philippe Soupault et André Pieyre de Mandiargues.
On y découvre d'étranges récits, où se mêlent un érotisme gentiment désuet et un goût évident pour le fantastique, la science-fiction et les histoires de vampires.
Comme le livre est illustré par André Masson, on se dit que la jeune femme d'alors avait su émoustiller tous ces messieurs avec ses histoires.
Quelques titres pour se faire une idée: La géométrie dans les spasmes, Délivrez-nous du mâle, La circonstance exténuante, Le plaisir solidaire, Je vous salue maris, etc.
Enfin, voici une courte biographie qui se trouvait insérée dans mon exemplaire:
"Née d'un père marin et de mère inconnue, Belen manifeste dès sa plus tendre enfance un penchant très vif pour la littérature érotique.
Amenée par le métier paternel à fréquenter toutes sortes de quartiers dans des pays divers, elle acquiert très tôt la confirmation empirique de ses lectures.
Son père n'est pas étranger à cette initiation et Belen gardera toute sa vie un souvenir attendri de certaines chaudes nuits d'Amsterdam.
Orpheline seize ans, voyante et voyeuse, elle entre comme préposée au linge dans une maison de rendez-vous de Shangaï. C'est à cette époque que commencent à se manifester ses étranges pouvoirs divinatoires, et elle est ainsi appelée partout dans les grandes familles d'Europe et du Cambodge pour lire l'avenir dans les draps. Son succès ne connaît pas de limites.
Devenue fabuleusement riche, elle se retire vingt-trois ans dans une île de la Mer des Sargasses, oû elle partage ses loisirs entre l'écriture et des expériences érotiques sur des tortues géantes. En 1959, après une déception sentimentale qui la marque profondéemet, elle quitte définitivement sa retraite et séjourne quelques jours Paris pour surveiller la première édition de ses oeuvres. Elle repart ensuite dans sa nouvelle demeure des Îles de la Sonde, où elle investit le reste de sa fortune dans la culture et l'apprivoisement de fleurs carnivores, récente découverte révolutionnaire dans le domaine de l'avortement sans douleur.
Aux dernières nouvelles, Belen rédige un premier volume de souvenirs: Mémoires d'une liseuse de draps, appelé à avoir un prodigieux retentissement."
Que cette "biographie" soit signée de l'auteur elle-même, de son éditeur, ou encore de l'un des ses parrains littéraires, voilà ce que je ne sais pas et qui hante mes nuits.
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(1) Certains se demanderont : comment peut-il adoucir des frimas? Et on les comprend. La réponse est : il fait ce qu'il veut.