Arpenter les librairies d'occasion et déambuler dans les rues pour faire des photos sont deux activités auxquelles je consacre beaucoup de temps, et elles ne sont pas sans rapport.
Dans un cas comme dans l'autre, on a beau suivre des pistes, avoir une vague idée de ce que l'on cherche, il faut bien accepter de rentrer souvent bredouille, de passer dix fois dans la même rue ou la même librairie avant de tomber sur la bonne lumière ou le livre inattendu.
Et, parfois, les deux se croisent. Ainsi l'autre jour étais-je sorti en quête d'images lorsque, passant devant une bonne librairie, j'y suis entré.
Heureuse idée car au sous-sol, dans le dernier rayon, se cachait le Voyage à Samoa de Marcel Schwob.
Trop souvent oublié malgré de fréquentes rééditions, l'auteur de Monelle et des Vies imaginaires n'en est pas moins un auteur essentiel de la fin du XIXème siècle. Touche-à-tout d'une rare érudition, journaliste, écrivain, il traduisit Stevenson, Shakespeare (Hamlet) et Defoe (Moll Flanders), correspondit avec l'auteur de L'Île au trésor jusqu'à sa mort aux Samoa, fut l'ami de Colette et de Mallarmé, et a dû forcer l'admiration d'Alfred Jarry puisque Ubu roi lui est dédié.
De santé fragile et fraîchement marié à l'actrice Marguerite Moreno, Schwob entreprend néanmoins en octobre 1901 de traverser mers et océans jusqu'aux îles Samoa sur les traces de Stevenson. C'est de ce voyage qu'il a tenu un journal, sous la forme de lettres adressées à sa femme d'escale en escale.
"Comment te dire le bleu profond de cette mer? C'est du saphir, mais du saphir vivant; c'est la couleur d'yeux de femmes qu'on n'a jamais vus, et qui sont transparents, mais insondables, d'une sorte de pureté à la fois solide et limpide, joyaux vifs uniques sous ce ciel bleu pâle et blanc de brume."
(en Méditerranée, au sud de la Crète)
Au cours des trois mois que dure le trajet vers Samoa, Schwob a été profondément choqué par le comportement vulgaire et raciste des Français à Djibouti, puis s'est émerveillé de la mer Rouge jusqu'à Ceylan, avant d'être rattrapé par la déception au large de l'Australie ("Cette mer est bien laide - et c'est la mer australe! Quelle désillusion!"). Il arrive ruiné par les aléas du voyage et terrassé par une pneumonie et par la fièvre, ce qui ne l'empêche pas d'écrire:
"30 décembre (1901)
(...) J'apprends diligemment le samoan et en deux jours je puis déjà causer un peu."
Mystérieusement, la figure de Stevenson n'apparaît qu'en filigrane tout au long du récit. Quant au retour de Schwob en France, il n'est qu'une longue convalescence au cours de laquelle il revient de loin plutôt deux fois qu'une.
***********
Le Voyage à Samoa a été réédité sous le titre Vers Samoa: lettres à Marguerite Moreno, aux éditions Ombres à Toulouse en 2002.
Sur Schwob, lire le magnifique et passionnant Marcel Schwob, l'homme au masque d'or, coédité par Le Promeneur et la Bibliothèque municipale de Nantes en 2006.
Et, parfois, les deux se croisent. Ainsi l'autre jour étais-je sorti en quête d'images lorsque, passant devant une bonne librairie, j'y suis entré.
Heureuse idée car au sous-sol, dans le dernier rayon, se cachait le Voyage à Samoa de Marcel Schwob.
Trop souvent oublié malgré de fréquentes rééditions, l'auteur de Monelle et des Vies imaginaires n'en est pas moins un auteur essentiel de la fin du XIXème siècle. Touche-à-tout d'une rare érudition, journaliste, écrivain, il traduisit Stevenson, Shakespeare (Hamlet) et Defoe (Moll Flanders), correspondit avec l'auteur de L'Île au trésor jusqu'à sa mort aux Samoa, fut l'ami de Colette et de Mallarmé, et a dû forcer l'admiration d'Alfred Jarry puisque Ubu roi lui est dédié.
De santé fragile et fraîchement marié à l'actrice Marguerite Moreno, Schwob entreprend néanmoins en octobre 1901 de traverser mers et océans jusqu'aux îles Samoa sur les traces de Stevenson. C'est de ce voyage qu'il a tenu un journal, sous la forme de lettres adressées à sa femme d'escale en escale.
"Comment te dire le bleu profond de cette mer? C'est du saphir, mais du saphir vivant; c'est la couleur d'yeux de femmes qu'on n'a jamais vus, et qui sont transparents, mais insondables, d'une sorte de pureté à la fois solide et limpide, joyaux vifs uniques sous ce ciel bleu pâle et blanc de brume."
(en Méditerranée, au sud de la Crète)
Au cours des trois mois que dure le trajet vers Samoa, Schwob a été profondément choqué par le comportement vulgaire et raciste des Français à Djibouti, puis s'est émerveillé de la mer Rouge jusqu'à Ceylan, avant d'être rattrapé par la déception au large de l'Australie ("Cette mer est bien laide - et c'est la mer australe! Quelle désillusion!"). Il arrive ruiné par les aléas du voyage et terrassé par une pneumonie et par la fièvre, ce qui ne l'empêche pas d'écrire:
"30 décembre (1901)
(...) J'apprends diligemment le samoan et en deux jours je puis déjà causer un peu."
Mystérieusement, la figure de Stevenson n'apparaît qu'en filigrane tout au long du récit. Quant au retour de Schwob en France, il n'est qu'une longue convalescence au cours de laquelle il revient de loin plutôt deux fois qu'une.
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Le Voyage à Samoa a été réédité sous le titre Vers Samoa: lettres à Marguerite Moreno, aux éditions Ombres à Toulouse en 2002.
Sur Schwob, lire le magnifique et passionnant Marcel Schwob, l'homme au masque d'or, coédité par Le Promeneur et la Bibliothèque municipale de Nantes en 2006.
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