Dans la catégorie des livres dont on n'a pas vraiment parlé mais qui en valent la peine, Sept mensonges, de James Lasdun, est un sérieux prétendant.
Qu'un auteur anglais, installé aux États-Unis où il enseigne rien de moins que la création littéraire à l'Université de Princeton, se glisse dans la peau d'un dissident de l'ex-RDA, voilà qui m'avait intrigué.
N'étant pas à la source de toutes les informations essentielles (1), je n'avais pas remarqué la parution en 2004 de L'Homme licorne, du même auteur, sans quoi j'aurais pu aujourd'hui jouer au plus fin sur l'air de "vous voyez, je vous l'avais dit, avec un titre comme ça, ce ne pouvait être qu'un bon auteur".
Mieux que ça, James Lasdun est un véritable écrivain, rusé, intelligent, maître de son écriture. Les sept mensonges que l'on découvre sont ceux de Stefan Vogel, un poète dissident d'Allemagne de l'Est, exilé à New York avec sa femme en 1986. Une vingtaine d'années plus tard, tandis qu'il espère être suffisamment intégré à la société américaine pour ne plus jamais avoir se justifier, voilà que son passé le rattrape, sous la forme d'un verre de vin jeté au visage. S'en suit le récit de la jeunesse de Vogel à Berlin-Est dans les années 70-80 dans sa famille aisé de pointures du parti.
L'originalité et l'intérêt du roman viennent d'une part du fait que l'auteur parvient à nous faire oublier qu'il n'est pas écrit par un Allemand, tant le quotidien de la vie domestique, politique et artistique est soigneusement décrit et détaillé; d'autre part de la poésie, laquelle se retrouve au coeur de l'intrigue, moteur innocent de bien des complications.
Parce qu'il a la faiblesse de ne pas savoir dire non quand on lui demande si il est poète, Vogel enfant se voit contraint de plagier et de mentir pour ne pas perdre la face et ne pas "hériter d'un désavantage". C'est encore par faiblesse, parfois pour séduire, mais le plus souvent pour ne pas contredire et ne pas prendre de risques inutiles qu'il entretiendra en grandissant cette croyance qu'il est effectivement poète, d'abord dans sa famille, puis jusque dans les milieux de la contre culture, perdant pied rapidement dans les eaux du mensonge et du chantage.
Mais au delà de la vue d'ensemble sur l'omniprésence de la Stasi dans un pays et une époque où même les militants de l'opposition sont suspectés de surveiller leurs voisins, c'est l'ombre d'un géant littéraire qui plane sur ce roman, celle de Nabokov.
Pas un hommage ni un plagiat, plutôt un non dit, comme un silence qu'on laisse durer pour entretenir le doute. Comme si Lasdun lui-même, le fait qu'il enseigne dans une université prestigieuse, européen exilé, feignant - en tant que narrateur - de revenir sur un passé trouble, le rapprochait du personnage de Pnine. Et bien sûr - surtout - les liens étroits qui unissent la littérature et le destin du personnage, sa faiblesse de caractère, le fait de ne trouver que de fausses solutions créant des problèmes là où de toute évidence il n'y en avait pas.
On ne peut pas enseigner la littérature à Princeton et ignorer que ce soupçon de "nabokovisme" plane sur soi, d'où il ressort peut-être un peu d'orgeuil de la part de l'auteur, mais il serait dommage de se priver de ce livre pour autant.
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(1) ou comment éviter de dire tout simplement qu'on est passé à côté d'un livre.
- Sept Mensonges, de James Lasdun (traduit de l'anglais par Pierre Charras), Paris, éditions Gallimard, coll. "Du monde entier", 2007, 248p., 19,50 euros/36,95 $Can.
- L'Homme licorne, de James Lasdun (traduit de l'anglais par Pierre Charras), Paris, éditions Gallimard, coll. "Du monde entier", 2004, 232p., 18,50 euros/29,95 $Can.