Au commencement je n'avais pas remarqué sa présence; à dire vrai, j'ignorais jusqu'à son existence. Dix ans plus tard environ, je commençais à me demander pourquoi je le croisais aussi souvent dans les librairies d'occasion : mauvais livre, tirage trop ambitieux, ou combinaison des deux?
Après une autre décennie de purgatoire dans la banlieue de mon cerveau, un ou deux hasards et un geste irréfléchi m'ont finalement mis entre le mains un exemplaire du premier roman de Jean Rouaud, Les Champs d'honneur. Prix Goncourt (ce qui n'a jamais rien garanti mais qui explique le tirage) en 1990 (ce qui explique que je sois passé à côté puisque j'avais douze ans et que les aventures du capitaine Nemo étaient alors beaucoup plus à mon goût).
Dans ces champs d'honneur, il est donc question des décès rapprochés dans une famille d'un père, d'un grand-père et d'une tante, de deuil évidemment, des souvenirs que l'on convoque de peur d'oublier trop vite une visage ou une voix, et de la Grande Guerre, première et dernière.
Un écrivain qui ouvre son livre par une description comparée de vingt-cinq pages de l'intérieur de la 2CV de son grand-père et des différents types de pluie qui tombent en Loire-Inférieure ("la moitié fidèle de la vie" dans cette région), mérite qu'on lui donne une chance, même avec vingt ans de retard.
"Cette chose, naturelle du temps que papa s'en chargeait avec la redoutable force des pères, nous enseignait après sa mort que le chemin serait désormais semé d'embûches contres lesquelles il nous faudrait l'âme comme un brise-glace, dure et tranchante, que nous n'avions pas, ne sachant que pleurnicher en robinsons tristes débarqués sur un archipel de ténèbres."
Jean Rouaud, Les Champs d'honneur, Paris, éditions de Minuit, 1990, coll. "Double".
Jean Rouaud, Les Champs d'honneur, Paris, éditions de Minuit, 1990, coll. "Double".
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3 commentaires:
C'est très joli, pour ce qui est de la citation.
Ca me rapelle un peu l'éloquence de Desproges avec ses phrases, ses déscriptions et ses apologies tarabustées dont le flot des mots créent un délice mélodique à la lecture et à l'écoute.
Cher Antoine,
il se trouve que j'ai lu, à l'époque de sa parution les Champs d'honneur; il me reste l'impression d'un récit fade et sans relief, avec quelques habiletés, certes, mais aussi un curieux changement de style à mi-parcours, que rien ne justifie, et qui m'avait laissé perplexe. Pour l'évocation de la vie militaire et de ses séquelles, je mets à cent lieues au-dessus des romans comme Allons z'enfants d'Yves Gibeau, Les Thibault de Roger Martin du Gard, Les Poulpes et le Temps de la sottise de Raymond Guérin, La Peau et les os de Georges Hyvernaud ou encore, pour la poésie qui en émane, la sublime nouvelle de Balzac, Une passion dans le désert.
Joël Gayraud
Je n'avais pas encore lu tout à fait la moitié du roman que j'avais déjà envie d'en parler. Mon texte était donc sans doute un peu trop enthousiaste. Il est vrai que l'évocation de la guerre n'est ni la plus saisissante ni la plus convaincante, et qu'elle fait un peu "passage obligé", mais elle n'a qu'un rôle de second plan dans le livre (en dépit du titre), et les portraits que Rouaud dresse de son grand-père et de sa tante restent assez beaux.
Maintenant, c'est un honnête prix Goncourt, pas un Grand Roman, je vois bien la différence.
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