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Retours à la ligne





























C'était un soir d'hiver, en janvier. V. et moi nous étions levés tard et nous avions passé la journée à ne rien faire. Manger des crêpes, enlever la neige sur le balcon, lire un peu, faire l'amour.
V. s'est assise à son bureau et s'est mise à travailler. Pour tout vêtement, elle ne portait qu'une petite couverture blanche que sa mère lui avait offerte pour Noël et qu'elle avait nouée autour de sa taille.
Je me suis assis derrière elle dans le vieux fauteuil à bascule, celui des lectures et des siestes, que l'on avait acheté ensemble l'hiver précédent au bazar de l'église d'à côté.
Son dos était nu et je faisais semblant de lire. J'essayais bien mais n'y arrivais pas. Toute mon attention était captée par le mouvement de ses épaules tandis qu'elle tapait sur son clavier du bout de ses doigts supersoniques.
En approchant la main du radiateur pour me réchauffer, je me suis penché un peu au-dessus de l'accoudoir et j'ai fermé les yeux.
Le bruit des touches enfoncées à toute vitesse m'a renvoyé à mon enfance, lorsque mes parents vivaient encore ensemble. Pour gagner sa vie, mon père faisait des travaux d'édition et passait pour cela une bonne partie de ses journées (et de ses nuits) à défoncer le clavier d'une vieille machine à écrire.
N'ayant jamais pris de cours, il tirait une grande fierté de sa rapidité, bien qu'il n'ait jamais tapé qu'avec deux doigts, les deux index, ce qui lui permettait de fumer en même temps. L'odeur des Gauloises et le "cling" régulier que faisait la machine à la fin de chaque ligne avaient quelque chose de rassurant.
Pendant ce temps-là, ma mère préparait ses cours (dessous de main silencieux en buvard et tabac blond). Aujourd'hui encore ils corrigent mes fautes.
Mais ce soir-là, quand j'ai rouvert les yeux, toujours penché au-dessus du radiateur, mon regard s'est posé sur le sein de V. - enfin, celui que j'apercevais d'où j'étais - qui se balançait au rythme de son écriture.
Je suis resté immobile pendant plusieurs minutes, mon livre à moitié ouvert dans la main gauche, la droite oubliée en train de cuire sur le radiateur.
Tout en la regardant je me suis souvenu de la dactylo d'Hemingway dont parle Brautigan. J'ai pensé aussi que, décidément, j'aurais passé beaucoup de temps à entendre des gens que j'aime taper sur un clavier.
Elle s'est retournée et m'a demandé:
"- À quoi tu penses?
  - Oh, à rien."
   Alors elle s'est levée pour aller prendre un bain.



(janvier 2006-avril 2007)






3 commentaires:

Anonyme a dit…

J'aime beaucoup. Encore !

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Anonyme a dit…

c'est vrai ça, quand je te dis que tu écris bien...